Le Guide Michelin, souvent perçu comme une institution élitiste ou déconnectée, pourrait bien être, à y regarder de plus près, l'un des derniers bastions du cartésianisme en France. Il fonctionne selon une logique froide, rationnelle, structurée : des critères précis, évalués par des inspecteurs anonymes, sans interférence émotionnelle ni favoritisme personnel. C'est une approche fondée sur le "je pense, donc je juge" – un paradigme fondamentalement cartésien.
Un jugement rationnel dans un monde émotionnel
Dans un contexte culturel où l'émotion est devenue la norme de validation – "je ressens que c'est injuste, donc ça l'est" – le Guide Michelin continue de défendre une évaluation objective. Sa mission n'est pas de faire plaisir ni de récompenser des parcours personnels, mais de signaler, pour le client, un certain niveau de qualité gastronomique à un moment donné. C'est une photographie technique, non un hommage affectif.
Pourtant, les réactions des chefs en disent long sur le décalage entre cette approche cartésienne et l'état d'esprit dominant. Certains vivent la perte d'une étoile comme un affront personnel, une attaque contre leur identité. Mais peut-on reprocher au contrôle technique d'une voiture de signaler un défaut ? Peut-on en vouloir à un thermomètre de nous annoncer que nous avons de la fièvre ?
Le passage du cogito au ressenti
Ce basculement est sociologiquement fascinant. On est passé d'une culture du "je pense donc je suis" à une culture du "je ressens donc j'ai raison". L'autorité rationnelle est remise en question au profit d'une validation émotionnelle. Ce n'est plus la conformité à des critères qui fonde la légitimité, mais la sincérité du ressenti individuel.
Ainsi, dans le rejet du Guide Michelin, il y a aussi le rejet d'une certaine conception de la vérité – objective, mesurable, parfois désagréable – au profit d'une vérité vécue, subjective, émotionnellement fondée. Et c'est peut-être ce glissement qui explique pourquoi les critiques contre le Guide sont si virulentes aujourd'hui.
Le droit de ne pas jouer au jeu
Enfin, il est fondamental de rappeler que personne n'est obligé de viser une étoile. Si un chef estime que les critères du Guide ne correspondent pas à sa vision de la cuisine, il est libre d'y renoncer. Mais il ne peut, en conscience, vouloir bénéficier du prestige du Guide tout en en refusant les règles. On ne peut pas demander à passer un concours et ensuite se plaindre des critères de notation parce qu'on ne l'a pas réussi.
Le Guide Michelin ne fait que maintenir une exigence : celle d'une évaluation fondée sur la raison plutôt que sur l'émotion. Et en cela, il reste une institution précieuse, non pas parce qu'elle est parfaite, mais parce qu'elle incarne une forme de rigueur intellectuelle de plus en plus rare dans notre époque de subjectivisme flamboyant.